Colette Pétonnet présente une description ethnologique qui donne une grande part à la perception sensible. Cela requière à la fois d'être précise sur la méthode mais aussi de l'entêtement.
En effet, rester attentif et ne pas se laisser entraîner à une mise en ordre prématurée. Garder coûte que coûte l’attention au sensible, c’est relever la pluralité des usages, ne pas les réduire en se fixant à une hypothèse qui viendrait orienter le regard et fermer l’enquête dès la phase de collecte.
La précision tient à l'énonciation claire de la méthode retenue :
« La méthode utilisée est celle que nous qualifions d’“observation flottante” et à laquelle nous nous essayons depuis quelque temps, au long des trajets parisiens qu’imposent les activités quotidiennes ou le besoin de mouvement qu’éprouve le sédentaire. Elle consiste à rester en toute circonstance vacant et disponible, à ne pas mobiliser l’attention sur un objet précis, mais à la laisser “flotter” afin que les informations la pénètrent sans filtre, sans a priori, jusqu’à ce que des points de repères, des convergences apparaissent et que l’on parvienne alors à découvrir des règles sous-jacentes.»,
S'entêter consiste à résister à la tentation de privilégier un acteur pour confirmer une hypothèse.
L'engagement subjectif dans la promenade révèle des habitudes des promeneurs du Père Lachaise.
Le chercheur se laisse aller au hasard des rencontres.
L'espace du cimetière se définit par différenciation : l'échange marchand est un phénomène mineur et la temporalité de ce lieu est singulière.
Par ailleurs, il y a des habitués du Père Lachaise. Ces habitués ont d'autres habitudes (des usages qui se répètent) que la simple promenade : l'ethnologue va être «introduite» a ces habitudes en se laissant guider dans le cimetière par les personnes rencontrées. La promenade est ainsi, à plusieurs reprises, transformée en visite guidée impromptue. Les «habitués» s'instituent guides : ils orientent, renseignent, transmettent des savoirs sur les morts. Elle conduit aussi à la brigade des dames aux chats, qui de leur propre initiative, nourrissent et régulent le peuplement en chats du cimetière.
La répétition du verbe «s'instruire» conduit l'ethnologue a formuler une hypothèse, sous la forme d'une comparaison : le père Lachaise serait une encyclopédie vivante. Elle en marque le champ d'extension, s'appuyant ainsi sur une allusion à ses propres travaux : «ce qui est abordé là appartient aux cultures populaires, demeurées l'une de nos préoccupations, et dont nous avons par ailleurs montrées qu'elles ne dissocient pas l'affectif du savoir.»
L'une des rencontres du chercheur semble incarner l'hypothèse. Elle le nomme le «petit père». Au moment où se noue le contact, le chercheur commet un faux-pas qui semble venir valider cette piste: «ce ne sont pas là les bonnes règles du jeu. Ce que le petit père attend de la génération suivante à laquelle il veut transmettre la connaissance, c’est que justement elle ne sache pas». Et pourtant, l’article se clôt sur la volonté de préférer l’entêtement dans la méthode au maintien de l’hypothèse de recherche : «Si nous voulons comprendre à quoi sert ce cimetière, il ne faut pas l’attendre d’un informateur privilégié».
Pourquoi finalement forcer le trait des pratiques de savoirs plutôt que celui du conflit des usages révélés par les discussions avec l’une des dames aux chats ?
un .txt envoyé depuis mon mail du boulot à mon mail perso le 9/08/21 ; en provenance de Façons de se disperser - Apprentissages dans un squat d’une ville de province, 2009-2017