(suite de la notule du 23 janvier)

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Je bavarde pour ne pas écrire sur ce qui me tracasse dans le fond,
ce à quoi j'assiste de ma part ma place dans ce... monde?
Ce qui me tracasse, c'est un gars qui dort à la rue, qui explique comment être dans un appartement le rendrait fou, qu'il n'en peut plus de rencontrer que des personnes voulant le voir être hébergé quelque part; c'était un routard avec d'être un clochard; il vit parfois dans un camion, quelques temps, avant d'être tellement à bout qu'il y fout le feu.


Il est plutôt sympathique, discret, il fait les cent pas dans la ville, je l'ai apperçu, alors que j'étais en train de servir du café à d'autres personnes, jouer au jeu de ne pas toucher les lignes des trottoirs.
Parfois, il part rapidement après qu'on lui serve une boisson, parfois quand il est plus tard, que les rues ou la gare sont vides, on s'arrête et on discute plus longuement.

La dernière fois que sa colère l'a emporté, il s'est retrouvé incarcéré, mais peut-être était-ce l'hiver qui était froid et le 115 tellement inhospitalier et inconstent que certains préfèrent la prison.

Depuis quelques jours, sa colère se transforme en persécution; il est persuadé de quelque chose (dont il a peur ?). Il cherche depuis des années à voir/protéger son fils, l'histoire reste floue pour nous, des bribes de temps à autre. Il pense que son fils est abusé, son souhait ne serait pas tant de récupérer sa garde que de le savoir placé dans un endroit sécurisé.

Est-ce la révolte ambiante sur les violences sexuelles ? Comment fait-on pour que les hommes cessent de violer ?
Est-ce les collages sur les murs à propos des incestes ?
Est-ce des conversations attrapées au vol qui se transforment en message direct, en signaux qui s'alimentent et nourrissent la peur, peut-être réactivent un trauma silencieux ?

J'assiste au déploiement d'un sentiment immense de persécution,




les bras ballants,


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Dans le travail social se développe en ce moment la "pair-aidance". Inspiré des médiateur·ices de santé pair·es pour la psychiatrie, il s'agit d'embaucher des "expert·es du vécu".
Beaucoup de choses sont à dire, et sont écrites d'ailleurs un peu partout, vis à vis de ce truc. Là où je travaille, un travailleur pair bosse depuis plusieurs années; c'est un chouette type, un collègue et un camarade.

Les réflexions à ce propos sont d'actualité car l'association va embaucher un·e nouvel·le pair-aidant·e. Parfois, je me situe de ceux qui disent que c'est une politique pour faire du travail social à bas coût (car bien entendu, les salaires de ces travailleurs·ses sont plus faibles tu crois quoi).
La critique va plus loin: au-delà de la classification dans une grille de salaire, il y a l'idée de diplôme
de formation
d'enseignement
qui donne le papier qui permet à l'autre d'exercer
d'avoir une activité rémunérée

Dans l'idéal de mon centre social autogéré imaginaire, on récupère les subventions habituelles, on les met dans le pot commun, et on répartit le tout. Comme dans le centre de santé communautaire de Grenoble.

On embauche qui veut.
La notion de pair-aidance s'efface, car qui n'est pas pair-aidant ?

Je me pose cette question, et je divague sur des scènes où j'envisage de parler de "mon côté pair-aidant" à une échelle qui est la mienne:
je suis psychologue
j'ai passé deux semaines en psychiatrie il y 3-4 ans, je suis sortie contre avis médical, je ne dormais plus (entre autre), je suis devenue folle, et on m'a emmené aux urgences, on m'a assomé de médocs, et je me suis réveillée le lendemain dans un endroit inconnu, seule, dans une chambre.

à un moment dans ces deux semaines, quand je devais encore porter le pyjame bleu ciel, j'étais convaincue que c'était une méthode de recrument
_ j'étais au chômage, en recherche éperdue d'emploi à cette période _
un des premiers soirs, j'ai défait le néon de la salle de bain et je me suis promenée avec dans les couloirs pour trouver la sortie

avant d'atterir en psychiatrie, quand je trébuchais doucement dans cet onirisme trop lointain, (c'est de la manie on dit)
des coïncidences devenaient des évidences à suivre


Alors maintenant,
je me renseigne sur les luttes anti-psychiatrie, j'explore les outils fabriqués par des personnes "psychiatrisées", j'imprime des zines au travail //si c'est contraint, c'est pas du soin// pour les filer à des collègues qui pourraient être sensibilisées à ce genre de propagande,

j'apprends, depuis ma place
quelqu'un avec un diplôme de psychologie clinique
quelqu'un qui travaille dans "le social"
quelqu'un avec une micro-expérience de la violence psychiatrique, individuellement et dans le recueil des histoires des vies (j'en porte un bout pour alléger le poids en face?)

Alors,
parfois je n'arrive pas à bien m'endormir car je me demande si j'ai encore le temps, avant que le gars brûle son camion ou qu'il retourne en taule, de poursuivre avec lui le lien - le travail de parole qui décale en évitant les oppressions -



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C'est toujours le même souhait: que chaque earthling dispose des conditions matérielles et psychiques qui permet la réparation, la révolte, le rêve.