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Fin août, début septembre 2018 : tentative de mise en liens des lectures estivales avec le début d’expérience, prospective d’un travail à parsemer

Comment faire face à la souffrance qui émerge dans l’accès à un logement ; le fait de se retrouver entre quatre murs après avoir vécu sur les brouillards du Rhin, le ciel ouvert comme seul toit, l’échappée hors de soi pour atténuer les douleurs d’être ; comment apprendre à habiter quelque chose quand la fuite de ce quelque chose (particulier à chacun) a nourri presque tout le reste.

Si comme le pensent certains auteurs qui théorisent la grande exclusion, l’inconscient « secondaire », ou la capacité d’élaboration, de projection au-delà d’un immédiat rassurant permettant d’annuler le vide, n’opère pas chez les personnes en itinérance, comment travailler avec eux la chute que peut procurer l’accès à un logement

Car « la remise en route de l’activité secondaire » (hors stratégie de survie) « s’accompagne d’une grande souffrance » (Franck Matthieu, thèse sur l’errance psychique p.19 tome 3)

Le fait de donner un abri à quelqu’un n’est donc clairement pas une fin en soi, et nous devons accompagner l’actualisation des souffrances psychiques du sujet, l’ouverture des béances closes par l’errance dans la fermeture des habitudes de dégagement

Ce large thème permet de travailler sur la notion d’habiter (jusqu’à l’incurie comme tentative de rétablissement du sentiment océanique), sur les processus psychiques en jeu dans les phénomènes de l’exclusion et d’envisager des pistes de travail pratiques pour l’accompagnement social au quotidien.

Cela permettra également d’appréhender les résistances de certains sujets dans cet accès à l’habitat, les attentes, les angoisses que peuvent exprimer les personnes (on pense par exemple à ce monsieur qui dort à la gare depuis plusieurs mois toujours réticent même pour appeler le 115 qui attend d’une maison non pas un lit, un endroit où dormir mais une femme, une présence, un lien d’attachement pour contrer la solitude)

Croiser la clinique de la maraude avec celle des bénéficiaires de l'association que nous ne rencontrons pas forcément dans la rue.

//Dans l’accès à un logement, on peut parfois observer un affaissement  du corps, des défenses habituelles et un rapprochement peut peut-être fait dans l’accès au soin (exemple de M. SJP : après des mois sans se soigner, le moment où il accepte l’accompagnement médical, le corps lâche, comme si la tension du refus retient la chute)

Des accroches (récupération de citations notées dans mon cahier)

« Quitter la rue, c’est comme changer de rive sans savoir naviguer » Sylvie QUESEMAND-ZUCCA

« Un logement, ce n’est rien d’autre qu’un local, c’est-à-dire une boîte dans laquelle on peut insérer des objets et corps. » (Qu’est-ce qu’habiter ?)

Sur la capacité d’élaboration, voire la rêverie : « le lieu d’élaboration et de construction est le lieu où se noue et se joue la dialectique du désir » (Précarité, exclusion, abandon)

Le 7 septembre 2018, je découvre un dossier Documentation dans P:, et un sous-dossier Incurie et habitat dans lequel se trouve un texte d’une intervention à la journée associative :

« Je citerais encore un extrait des conclusions d’un travail, mené par le groupe ORSPERE, (l’intitulé de ce travail est : Aspects psychosociologiques et éthiques de l’accompagnement au logement, de personnes ayant un long parcours d’errance). Donc, je cite : « on observe dans ces moments de passage (accès à un logement), des disparitions, des fuites, des décompensations, des décès ; comment comprendre ces effets paradoxaux de ce qui est en principe avancée et progrès ?

Dans certains cas, la réalité concrète de la reprise d’un logement individuel confronte à un retour parfois brutal, de problématiques anciennes, des points de souffrance biographique, que la logique de survie à la rue ne permettait pas de traiter, voire que cette logique de survie pouvait constituer une manière d’évitement de ces points de souffrance. Le retour au logement et la mise au silence consécutive de certaines urgences vitales (sécurité, chaleur, ressources), confrontent donc le sujet avec lui-même, et bien souvent aussi à une certaine forme de solitude dans un cadre sécurisé, relativement pauvre en stimulations externes. C’est probablement aussi une confrontation avec la question du libre arbitre, des choix individuels et finalement de l’autonomie réelle, que l’urgence de la vie à la rue ne permettait pas non plus d’approcher sous cet angle. L’urgence de la survie mobilise en effet davantage un rapport aux besoins, qu’un rapport aux désirs : trouver à manger, ne pas mourir de froid, éviter les agressions, laisse en effet peu de temps pour se projeter dans le long terme. Cette phase de réorganisation subjective constitue donc une période critique où le sujet se trouve dans une vulnérabilité particulière qui n’est pas superposable à la vulnérabilité inhérente à la situation de la vie à la rue. Le soutien d’au moins une personne ressource, dans un lien de confiance, constitue un étayage nécessaire, mais peut-être pas suffisant, au dépassement de cette crise.

Ainsi, trouver un logement n’est pas la fin d’un parcours, mais ouvre sur un autre défi pour le sujet : parvenir à habiter. Se « poser » quelque part, est un moment critique de possible fragilisation, à accompagner le temps nécessaire à toute crise. Habiter n’est donc pas seulement se loger, se mettre à l’abri ou avoir un toit sur la tête, ni même seulement investir l’espace du logement. Habiter est en rapport avec la possibilité d’habiter son corps et sa santé, son histoire, son désir, sa parole, dans un sentiment suffisant d’unité et de continuité. Ce processus nécessite de l’énergie psychique, du temps, un accompagnement administratif et matériel, mais aussi, dans certains cas, un accompagnement social et psychologique ». »

Le 20 septembre 2018, je commence à lire Chez soi de Mona Chollet, dans une tentative d’entrevoir le côté normal du continuum normal-pathologique, mais pour l’instant pas d’éclair. Je retourne vers les références psychopathos avec l’idée de l’aller vers comme un squiggle urbain et où les auteurs parlent de « l’échec dans l’élaboration de la capacité à être seul en présence de l’objet » dans le contexte des lieux qu’occupent le sujet SDF : les gares, là où la foule est présente et sert de présence continue où l’on peut s’agglutiner, diminuer la séparation dans le bain des passants.

La solitude, ou l’incapacité à être seul, qui vient révéler la question de la séparation nous permet également d’aller vers la rêverie : peut-on rêver dans l’amas ?

On voit bien chez certaines personnes croisées en maraude qui ont un logement l’errance en dehors de chez eux, la joie quand vient la période de la foire, endroit où l’on peut se perdre parmi les autres, se fondre dans une marche active pour noyer la sensation de solitude

Qu’est-ce qui empêche la rêverie chez-soi ? Comment la nourrir, vaincre l’ennui vaquant qui fait fuir les gens de leur domicile où ils n’habitent pas ?

« L’errance urbaine est une forme de traduction de cette incapacité à être seul. »

Ces sujets cherchent une nouvelle adresse à l’autre, ils proposent à l’espace de la rue et à ceux qui le constituent d’être temoin d’une partie de leurs parcours, de leurs vecus, là où les autres espaces ont echoué à le faire. Si l’on arrive à survivre à ce partage, sans retrait ni retorsion, d’une part on temoigne de la solidite de l’environnement psychique offert, d’autre part on participe à la détoxication de ces éprouvés. Être senti, être vu et être entendu lorsque l’on a le sentiment d’être transparent toute la journee, c’est déjà beaucoup, et c’est une des conditions de l’auto-representation. (squiggle)

Le 21 septembre 2018, lecture du rapport de l’ORSPERE de 2012 sur « Aspects psychosociologiques et éthiques de l'accompagnement au logement de personnes ayant un long parcours d'errance. De la nécessité d'habiter la relation d'accompagnement » : la question de l’habiter et du logement.

« Dans cette recherche, l’habiter sera observé et décrit selon 4 zones (cf. schéma n°1) : la relation d’accompagnement, l’investissement du logement, la santé dont la santé mentale, les arrangements ordinaires de la vie quotidienne. En somme, habiter n’est pas seulement le rapport au logement (une seule zone sur 4). »

La santé comme objet social, à avoir ou à perdre ; et dans un refus de la société, un retrait d’ermite, la santé ne compte plus pour le sujet, d’où l’accès aux soins compliqué.

Hypothèse : s'installer dans un logement nécessite une réorganisation psychique potentiellement critique !

le 26 sept., toujours sur le rapport ORSPERE : sur le fait que les soucis de santé augmentent lors de l’accès au logement (mais n’oublions pas l’hypothèse  « l’entrée dans le suivi ouvre sur une meilleure observation des problèmes de santé et sur un meilleur accès aux soins. »

« Sans être la cause du problème de santé, le logement peut en être le révélateur ou l’accélérateur. »

« Nous pouvons différencier installation, appropriation et investissement d’un lieu. En ce qui concerne l’appropriation, G.N. Fischer et M.L. Félonneau la définissent ainsi : «l’appropriation est un processus psychologique fondamental d’action et d’intervention sur un espace pour le transformer et le personnaliser ; ce système d’emprise renvoie à des relations de possession et d’attachement » (G.N. Fischer,1992, p. 91). « Ainsi, s’approprier un espace, c’est le faire sien, c’est le marquer de son empreinte, c’est l’utiliser comme support d’identité » (M.L. Félonneau, 1994). Sans appropriation constatée du lieu, il ne peut y avoir d’investissement psychique, c'est alors une installation temporaire. »

Les hospitalisations en hôpital psychiatrique passent de 3 à 10 entre avant l'entrée dans le logement et après, l'ensemble des hospitalisations passe de 15 à 23, les hospitalisations en hôpital psychiatrique sont multipliées par 3 alors que les autres hospitalisations sont à peu près stables. Autrement dit, c'est bien un phénomène émergent après l'entrée dans le logement.

Accompagner au logement ou accompagner à l’habiter ?

« Ce travail d’accompagnement à habiter passe par l’habitat dans la relation, l’hébergement dans la relation pour ceux qui ont le plus de mal à investir un lieu. Ils habitent d’abord la psyché et le corps de l’autre. »

« Plusieurs hypothèses peuvent être formulées et seront explorées dans cette partie du rapport :

- La clinique psychosociale est confirmée.

- L'hébergement dans la relation comme premier hébergement: De fait on peut penser alors que le premier « hébergement » que retrouvent les SDF dans cette conjoncture, c’est l’hébergement dans une relation très individualisée, dans le transfert sur l’accompagnant qui prendrait à sa charge une partie de l’activité et des défenses nécessaires pour que l’individu conserve son logement (démarches administratives, nettoyage, mais aussi une certaine forme d'investissement psychique par procuration…). L’attention et le souci pour l’accompagné constituent dans ce cas l’expérience d’un regard humanisant qui redonne une place sociale.

Ces deux hypothèses s'articulent puisque ce serait dans l'unité psychosomatique du travailleur social que vont se déployer d'abord les troubles de l'habiter de la personne SDF. »

Le 4 octobre, encore et toujours sur le rapport ORSPERE, dans la conclusion sur l’importance des recherches-actions qui lient affects et théorie : « L’activité de théorisation participe à lutter contre la force de déliaison (coupure interne) qui tend à séparer affects et pensées. Le processus de recherche-action reconnecte les affects et la théorie. La théorisation collective produit le sentiment de faire partie d’un tout contre l’angoisse de morcellement des histoires de vie et des accompagnements décrits comme en dents de scie. L'activité de théorisation contribue à soutenir l'auto-production de connaissances. »

L'activité de théorisation répond au besoin de continuité dans le temps.

Le 25 octobre 2018, j’ai commencé l'infolettre ce mois-ci.

Volonté d’apporter plus de clinique psychopatho ; je tombe sur un fichier oublié avec une phrase de M. S : « l’important c’est de ne pas rester là où on est tombé »

Le 3 décembre 2018, voilà un mois sans écrire ici. Je souhaite lire Guattari & Deleuze sur l’anti-structuralisme. Je commence Chimères

« Par conséquent, plus de théorie standard obligatoire. Des cartographies d’événements et des circonstances ; des états des lieux du possible et du virtuel. Théorie-chimère pour méta- modélisation de singularités et de processus foncièrement non modélisables. »

Beau programme.

Je ne sais toujours pas trop comment garder un cap. J’ai fait des infolettres moins inspirées que la première. Me faire un calendrier de lectures ? de choses à travailler plus profondément ? comment éviter l’éparpillement.

Le 24 janvier 2019, les lectures sont passées outre le dépouillement des statistiques en vue du bilan d’activité ; des idées d’ouverture vers l’extérieur, un travail de pédagogie envers les autres maraudes.

Début mars 2019 !

J’ai rêvé d’une sorte de La Chesnaie mais pour sans-abri et déboutés, pour les fous de la rue qui ne vont pas en psychiatrie ; je vais chercher des liens pré-existants entre la psychothérapie institutionnelle et le travail social, j’imagine un grand squat autogéré, qui ne serait pas un squat car légitime, une clinique de non-psychiatrie. La dernière infolettre était plutôt chouette à mon goût (mais je n’ai pas eu de retour), le bilan d’activité est enfin envoyé pour relecture, j’ai commencé à emprunter des bouquins à l'école de travail social, la prochaine infolettre est quasi terminée – mais le temps FIR n’égale pas une supervision ? J’attends le/la prochain-e chef-fe de service pour continuer à avancer.

« Soigner le 115 pour soigner les SDF »

Un carnet de bord :

Le 14 mars 2019, un jeudi, la maraude est annulée, je reste tard au bureau pour ne pas perdre trop d’heure et je lis Je vous salis ma rue et je pense « quelle déprime ce livre » d’un air détaché alors que c’est presque le quotidien de la maraude (les clochards de la capitale > les clochards de province). Je sens l’affect dépressif monter, la gorge se nouer ; chaque page m’évoque des gens

Comme un livre « pop-up » invisible.

Je note des idées pour plus tard, vont-elles se perdre dans l’éparpillement habituel ? j’ai noté quelque chose sur la géographie et l’urbanisme, sur la ville comme simple passage, avec en écho l’article de ballast sur les espaces publics ; quelque chose à investiguer sur la psychothérapie institutionnelle, l’hébergement et l’habitat participatif/partagé ; quelque chose sur la honte et les miroirs, les reflets de soi et de son corps et l’envie d’avoir un appareil photo autour du cou, la photographie comme capture d’un narcissisme oublié.

« Il ne peut y avoir de « résilience » sans rêverie d’avenir. »
Le cinéma et le rêve,
http://commetoutlemonde.fr/ et d’autres, Sans toit ni loi, des séances asso-ciné ?

Le 15, découverte de la maraude de médecin du monde marseille qui s’appuie sur la PI

et lecture d’un article à son sujet,

dont cet extrait : « Raymond reprend la parole : « Je voudrais revenir sur une idée qu’on a évoqué en début de réunion. C’est important de le redire : loger les sans-abris n’est pas une évidence. Car avec la mise à l’abri, on observe souvent un effondrement des mécanismes de défense suivi de décompensation, avec des complications somatiques, cardiaques, ou même de cancéreuses. »

Dans la rue, il est interdit de se plaindre ni de souffrir. Pour se protéger, la personne s’est mise en état de glaciation psychique. Le phénomène est décrit dans La Glaciation de Salomon Reznik. La sortie de la rue équivaut à une décongélation : l’être en sort fragilisé. En outre, les gens qui vivent dans la rue ont souvent eu des vies normales avant de basculer. Revenir dans un foyer leur rappelle un temps déjà vécu. Le traumatisme est insupportable pour l’organisme lui-même. Penser leur histoire équivaut à la revivre. C’est parfois un second traumatisme. »

permet une boucle avec les interrogations du début de ce document.

Le 21 mars, je lis un nouveau rapport de l’orspere sur les dispositifs de soutien aux professionnels, il y a un passage sur les théories de Castoriadis à propos de l’institution

et un mot fait écho : tenir

« Une société est tenue ensemble par son institution. Verbe latin instituere = tenir. »

« Cette opposition institution/public accompagné nous semble une forme de maltraitance des professionnels, ainsi qu'un non-sens : « Le public en tant que tel n'existe pas, il y a un public parce qu'il y a une institution qui l'institue». Lorsque l'institution se coupe du public, le risque est sérieux : le public pourrait disparaître, cesser d'exister en tant que sujet de droit, être « chosifié ».

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Les paroles « je ne suis pas comme eux » des accidentés de la vie qui ne se voient pas comme les clochards alcooliques à l’hygiène douteuse : peut-être, mais eux sont comme vous.

 

Le 27 mars 2019, je lis De la prière à la révolte et c’est bien écrit et juste.

« Je me propose, ici, de traverser cette zone de prière qui m'a semblée être le point focal de la précarité psychosociale, de la mettre a l'épreuve de l'écriture, et d'une pensée clinique qui court le risque de mourir d'une morale normative stagnante, des injonctions paradoxales qui la tiennent, des jeux en enjeux politiques qui l'informent – et qui doit donc se donner la mission de rester éthique, c'est à dire critique, révoltée contre soi-même, et vivante. » p. 11

C’est vrai qu’on parle souvent de précaire, d’exclu, etc, mais peu des « pauvres » comme si ce mot ne suffisait pas alors qu’il est bien le départ de l’errance très souvent

Il me faudra relire à partir de la page 15 du pdf son déroulé sur malaise dans la culture de Freud et le mot qui m’est apparu hier en écrivant un peu sur les maraudes : la pauvreté ensauvagée (où le manque d’amour décivilise)

Mi-avril, hier soir en regardant Vice d’Adam McKay je pensais au pouvoir et à la peur, qu’avec le pouvoir vient la peur de le perdre, et j’ai l’impression qu’en maraude, je ne croise pas de gens qui ont peur, ils n’ont plus peur, en tout cas ceux qui sont là depuis longtemps ; les autres, récemment dans le système de la rue, hébergé ou non, peuvent parler de sentiments d’insécurité, notamment au niveau des vols

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d’ailleurs un élément qui revient dans mes lectures, c’est l’absence de la honte, « sans vergogne », quel(s) lien(s) entre la peur et le honte ?

fin avril, et si à partir de maintenant j’archivais mes lectures, je notais ce que je lis pour pas tout perdre

Début juin 2019, ponte de l’infolettre sur l’empan à la frontière du soin ; d’un compte rendu soigné de la journée d’étude de l’orsepere ;

Réfléchir à une autre forme de maraude ? j’entends les bruits de couloirs sur la pertinence pour certains collègues de faire ou non des maraudes ; la difficulté d’entrer en relation avec certains habitués de la maraude quand je ne suis pas là ; la nécessité d’accompagner parfois hors maraude ; le fait que je n’aime pas être « la cheffe » ; l’idée de certains collègues d’un ou deux ts tout aussi référents que moi de la maraude ; etc. ou alors ouvrir

Fin juin : le travail invisible de l’ancrage, la patience de tisser des liens contre le souhait impérieux de forcer un être humain à sortir de sa galère quand on le voit se dégrader à petit feu

Avec les partenaires je pense à C. B. qui est bien inscrit dans le circuit maintenant, et j’imagine que nos rencontres dans la rue, l’apprivoisement en quelques mois face à une personne qui parle de sa dignité et de son incapacité à demander de l’aide, qui se dévoile au fur et à mesure de nos échanges à temps variés, pour qu’enfin il ose pousser les portes de l’accueil de jour, donc s’associer à ces « clochards » qui s’y rendent, qu’il passe d’hébergements tiers délicats à un foyer d’hébergement d’urgence qui permet une veille autour de sa santé, et lorsqu’il se retrouve à l’hôpital et que sa sortie prochaine est annoncée, les partenaires cherchent une solution pour lui éviter de retourner sur le 115

Et là, la satisfaction est grande quand j’apprends que M est venu en permanence, alors qu’on n’y croyait plus ; accepter les sensations de « maraude de courtoisie », puis le désagréable sentiment de forcer un peu la démarche quand l’inquiétude monte face aux nerfs qui s’échauffent dans la rue ; trouver le tempo en prenant parfois le risque de rupture, d’être associé aux mêmes administrations qui violentent ; chercher l’équilibre de l’écoute respectueuse et du tenir la main vers.

Mi-juillet 2019, je lis / regarde des choses depuis hier sur le « parlons-en » et les espaces de dialogue et là dans un article, ça parle des « rescapés » de la rue et de la notion de liminalité

 « pour la durée du passage, la personne est dans l’entre-deux, suspendue entre le rôle familier qu’elle a délaissé et les exigences inconnues d’une nouvelle vie »[1].

Ça met une notion concept sur les questionnements du début de ce .doc fouilli ; ça n’a pas l’air d’être la même liminalité de Terolle, à vérifier.

In anthropology, liminality (from the Latin word līmen, meaning "a threshold" wiki

'The attributes of liminality or of liminal personae ("threshold people") are necessarily ambiguous'.[19] One's sense of identity dissolves to some extent, bringing about disorientation, but also the possibility of new perspectives. Turner posits that, if liminality is regarded as a time and place of withdrawal from normal modes of social action, it potentially can be seen as a period of scrutiny for central values and axioms of the culture where it occurs.[20]—one where normal limits to thought, self-understanding, and behavior are undone. In such situations, "the very structure of society [is] temporarily suspended"[21]

A propos du Housing first : ‘these programs ... help individuals graduate from the trauma of homelessness into the normal everyday misery of extreme poverty, stigma and unemployment’

Fin-mi août 2019 : je commence un texte d’Anne Dufourmantelle sur l’hospitalité, et « Car l’hospitalité est une histoire de seuil. » C’est toujours agréable quand les choses se recoupent, se croisent et se répondent. Je suis très en retard sur la prochaine infolettre même si je ne me donne pas de dates, mais j’accumule des choses lues sans les mettre en forme

C’est toujours difficile de garder une lignée.

Le mercredi 18 septembre 2019,

Je discutais hier avec q. de la zone qu’est **, de comment la pauvreté prend les formes de son territoire, de son histoire, que le travail que j’effectue, les personnes que je rencontre sont marquées par la sociologie de **, son antériorité culturelle (les familles de vaniers, les yéniches), la réputation d’émeute dans les banlieues, le côté ouvrier

Comment l’accueil de jour se retrouve aux prises avec la question du racisme front nationaliste des français pauvres face aux familles de sans-papiers

Les sciences humaines et sociales sont si grandes et chacune de ses disciplines apportent un regard complémentaire, on ne peut épuiser un sujet avec.

J’aimerai comprendre comment fonctionnent le conseil départemental et la ddcspp.

Fin octobre 2019: toujours des idées de lancer des causeries ; là, la folie de Monsieur K. qui élabore me renvoie à la lecture d’Antonin Artaud, au prêt du livre à une collègue et toujours en fond la question de la psychothérapie institutionnelle, de l’ouverture de la structure – j’imagine quelque chose de moins formel que de la réflexion dans une salle de réunion, plutôt quelque chose autour de boissons conviviales, en dehors du temps de travail salarié pour approcher autre chose que le quotidien du boulot (mais à quel moment alors ?)
puis l’atelier récit de vie, le souhait de pouvoir soutenir des bouts de mémoire de quelqu’un, rappelle la relation thérapeutique en face à face, je ne suis jamais seule avec un autre et cela me manque un peu sans que je m’en rende tout à fait compte

La question alors : où dégager du temps hors maraude pour ces écarts potentiellement pertinents, est-ce qu’il faut attendre la remise en forme du dispositif avec la création d’un nouveau (accompagnement social mobile) ?

L’importance pour l’équilibre de créer des interstices pour défaire l’hypocrisie d’être payée pour maintenir la paix sociale

Début mai 2020, ok, on va bientôt fêter mes deux ans à ce poste. J’aimerai mieux tenir un journal de bord de mes recherches lectures, j’ai découvert Zotero pour ranger par catégories les papiers agrégés au fil de l’internet.

Aujourd’hui je lis des trucs des Pages rouges et noires. Pour ne pas que tout glisse, il faudrait que je prenne le temps, au moins un quart d’heure à la fin de la journée ou bien une petite heure en fin de semaine pour prendre des notes de ce que j’ai fait / lu, avoir des traces. Là, c’est plus évident car c’est le confinement. Et ne pas prendre de note pour les autres comme je le fais avec l’infolettre, où c’est du condensé résumé machouillage, pour l’instant et pas vraiment de prospérité plus loin.

On va voir.

Je m’imagine donner des cours à la faculté sur ce qu’est la souffrance psychosociale.

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OK, il y a le cahier rose maintenant (juillet 2021 !!) où je note des choses, et des notes de bas de rage ailleurs.

Je commence La pédagogie de l’opprimé de Paulo Freire et je retrouve des notes de De la prière à la révolte qu’il faudrait que je re-re-commence et lise sérieusement

« Rationaliser sa culpabilité en traitant l’opprimé de
manière paternaliste tout en le maintenant dans une position de dépendance ne
fonctionnera pas. La solidarité requiert qu’on entre dans la situation de ceux avec
lesquels on veut devenir solidaire ; c’est une posture radicale. Si ce qui
caractérise les opprimés est leur subordination à la conscience du maître, comme
l’affirme Hegel, la véritable solidarité avec les opprimés veut dire combattre à
leurs côtés pour transformer la réalité objective qui les a rendu “êtres pour autrui”.
L’oppresseur est solidaire avec les opprimés seulement lorsqu’il arrête de les
regarder comme une catégorie abstraite et les voit comme des personnes qui ont
été injustement traitées, privées de leur voix, persuadées de vendre leur force de
travail, lorsqu’il arrête de faire des gestes pieux, sentimentaux et individualistes
et qu’il risque un véritable acte d’amour. La véritable solidarité ne se trouve que
dans la plénitude de cet acte d’amour, dans son existentialisme, dans sa praxis.
Affirmer que chaque homme et chaque femme est une personne et que ces
personnes doivent être libres et ne rien faire de tangible pour que cette affirmation
devienne une réalité, n’est qu’une farce. »

https://resistance71.files.wordpress.com/2018/12/paulo_freire_la_pedagogie_des_opprimes.pdf 

C’est un peu lourd comme lecture.



au bureau: j'ai oublié le cahier rose à la maison, je n'ai pas envie d'écrire dans le .doc original puis l'envoyer par mail alors direct dans le code sur neocities, si ça casse pas tout. c'est la rentrée, septembre 2021: entre la communication du gouvernement "la performance sociale pour la lutte contre le sans-abrisme" (comme si le sans-abrisme était une entité en soi, complétement déconnectée des politiques du capital, sans causalité, une forme indépendante - un fnatôme contre lequel les pauvres pouvoirs publics n'auraient pas bcp de prise) et le milieu de la recherche, des types qui écrivent des articles dans des revues de droit sanitaire et social,berk, allez tous vous faire foutre quoi. à quoi ça sert de disserter sur l'aller-vers - en fait, peu importe, ce qui m'agace, l'aigreur qui se distille dès que j'approche des trucs universitaires depuis quelques temps, c'est la machine inutile derrière, l'énergie et le temps consacré à des broutilles d'entre soi ; c'est la même sensation en réunion partenariale SIAO, tout ce vent vain qui n'aide personne. laissez-moi juste sur le bord des rues. non pas que, mais il faudrait que je focalise mes lectures sur la santé communautaire, et tout ce qui tourne autour des centres sociaux autogérés. ne pas me perdre dans ce qui m'énerve. ça sert peut-être à d'autres.


[1]https://www.academia.edu/1150555/La_voix_des_sans_domicile._Les_usages_sociaux_du_jeu_d%C3%A9mocratique_avec_M._Sanchez-Mazas_